J’ai l’impression que la paix que je recherche est bien difficile à trouver. Qu’est-ce donc que cette volonté de vivre tranquillement, si je m’émeus pour la moindre chose ? Je me suis retiré, mais qu’est-ce que cette retraite puisqu’un rien me froisse ? Ce n’est pas parce qu’on ne participe pas à la vie qu’on est heureux. Je continue à subir des vexations. Autrui m’intéresse encore plus qu’au temps où je sortais. Plus je vieillis, plus je suis sensible à la méchanceté. Au commencement j’ai eu l’impression de respirer le grand air. J’étais en effet bien au-dessus des intrigues, des ambitions, des faiblesse. Et voilà qu’à présent, dans l’ennuie de ma vie monotone, sans avoir le courage de vivre, je participe quand même à toutes ces petitesses, mais cette fois sans connaître les satisfactions que la vie rapporte généralement. Je suis comme un vieillard dans mon trou. Je souffre indirectement plus que je ne souffrais directement. Que me reste-t-il si l’isolement ne m’apporte pas le calme. J’ai écarté tout le monde de moi, parce que je croyais que ma résolution de vivre seul serait éternelle, car c’était, pensais-je, la plus grande des résolutions, celle qu’on ne prenait qu’une fois dans la vie. Or, je m’aperçois aujourd’hui qu’il en est de cette résolution sacrée comme des autres. Ma vie n’aura donc été qu’une succession d’abandons. Maintenant il ne me reste plus rien à abandonner et j’en suis arrivé au point le plus élevé, celui peut-être qui m’apportera le plus de bonheur, celui où l’on s’aperçoit que le désir est une chaîne sans fin. La retraite est une vanité comme les autres. On commence par juger ses semblables de haut, puis de moins haut, puis de moins haut encore. Petit à petit, ils entrent dans votre existence, non point comme avant en adversaires ou en amis, mais avec des petites histoires. Ces petites histoires, dans votre désœuvrement, prennent l’importance qu’avaient les grandes jadis. On s’aperçoit brusquement qu’on ne vit pas du tout comme on l’a voulu, mais de la même manière qu’auparavant.

— Emmanuel Bove, Journal écrit en hiver