— Mais en dehors de la littérature où vis-tu donc ?
— Derrière. Derrière la porte le plus souvent fermée. Dans une pièce vide et un peu froide. Ne désirant qu’une chose : que la porte s’ouvre et entrer dans le jardin.

— Est-ce toi qui l’ouvres ?
— Je ne sais pas. Oui, au bout du compte c’est moi, mais je dois d’abord m’acharner longtemps car la poignée ne tourne pas, ou si elle tourne, la porte reste bloquée. Parfois, quand je me suis longtemps escrimée en vain, je finis par me figurer que peut-être au fond il n’y a rien derrière cette porte. Que j’ai rêvé l’Éden ou pris pour l’Éden quelque chose qui n’était qu’un jardin où respirer un peu.

— Depuis le temps, j’imagine que tu as conçu un certain nombre de ruses pour ouvrir cette porte ?
— Non, il n’y en a pas de possibles car il ne s’agit jamais de la même. C’en est toujours une autre que celle devant laquelle tu te tenais. La porte de la littérature est dérobée.

— Anne Serre, Dialogue d’été