MON ÂME…

Mon âme est un aïeul de quatre-vingt-dix ans
Dont sont défunts les fils et dont l’épouse est morte ;
Il médite, accroupi sur le seuil de sa porte,
Combien l’esprit est faible et sont menteurs les sens.

Il dit l’inanité de l’espoir aux passants :
Ce qu’offre le présent l’avenir le remporte ;
Sa masure branlante où loge le cloporte
Est la somme d’efforts et de travaux puissants.

Mais il va chaque jour errer le long des grèves
Et scrutant le lointain, hanté des anciens rêves,
Il met souvent la main au-dessus de ses yeux,

Pour voir si, revenant d’aventures lointaines,
Ne songent, à l’avant des vaisseaux glorieux,
Ses fils debout, chamarrés d’or et capitaines.

— Alfred DesRochers, l’Offrande aux vierges folles