C’est l’histoire de gens qui habitaient autrefois sur la lune. Aujourd’hui il ne reste plus personne mais il n’y a pas longtemps c’était un superbe endroit. Les gens de la lune se croyaient très spéciaux parce qu’ils pouvaient avoir des pensées de la forme qu’ils désiraient. […]

Parmi tous les gens de la lune, il en était un seul qui formait ses pensées différemment des autres. C’était un jeune homme un peu bizarre qui, la plupart du temps, était préoccupé par des problèmes existentiels et légèrement importuns […]

Mais voyant que le jeune ne se calmait pas, ils pensèrent à un moyen de l’arrêter. Ils construisirent une pensée de solitude d’un format de 3 x 3 et mirent le jeune homme à l’intérieur, c’était une pensée de la taille d’un cachot avec un plafond très bas. Chaque fois qu’il heurtait involontairement une des parois, le jeune homme recevait une décharge glacée qui lui rappelait sa solitude.

C’est dans cette cellule qu’il eut une dernière pensée de désespoir en forme de corde, en fit un nœud coulant et se pendit. Les gens de la lune aimèrent beaucoup cette idée d’une corde de désespoir avec un nœud coulant, aussitôt ils conçurent une pensée de désespoir personnel et l’enroulèrent autour de leur cou. C’est ainsi que furent anéantis tous les gens de la lune, ne laissant derrière eux que ce cachot de solitude. Mais après quelques centaines d’années de tempêtes spatiales, lui aussi s’effondra.

Quand la première fusée se posa sur la lune, les astronautes ne trouvèrent personne. Ou plutôt ils y trouvèrent un million de fosses. Au début, ils crurent qu’il s’agissait d’anciennes tombes d’habitants de la lune. Mais en les examinant de plus près, ils découvrirent qu’il s’agissait simplement de pensées de rien.

— Etgar Keret, « Pensée en forme d’histoire », Un homme sans tête et autres nouvelles (trad. Rosie Pinhas-Delpuech)