Est-ce que tu ne sens pas un pouvoir en toi, quelquefois ? dit Vollmer. Une espèce de bonne santé excessive. Une bonne santé arrogante. C’est ça. Tu te sens tellement bien que tu commences à te trouver vaguement supérieur aux autres gens. Une sorte de force de vie. Un optimisme à ton propre sujet que tu développes presque aux dépens des autres. Tu n’as pas cette impression, quelquefois ? […] Mais là où je veux en venir, c’est que cette puissante impression est tellement – comment dire – délicate. C’est ça. Un jour tu la ressens, et le lendemain te voilà soudain pitoyable et accablé. Qu’une toute petite chose aille de travers, et tu te sens voué à l’échec, d’une absolue fragilité, vaincu, incapable d’énergie dans l’action et même de bon sens. Tous les autres ont de la chance sauf toi, tu es infortuné, triste, inefficace et voué à l’échec.
— Don DeLillo, « Moments humains dans la Troisième Guerre mondiale », l’Ange Esmeralda (trad. Marianne Véron)