Renaud Jean

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  • I can't believe that the summer, and civilization, are almost over.
    — Christopher Weyant
    20 août 2025
  • I didn’t do anything. I don’t have an explanation, I don’t know why I wanted to write. I did some short stories at that time, but very infrequently. I quit my job just to quit. I didn’t quit my job to write fiction. I just didn’t want to work anymore.

    — Don DeLillo

    20 août 2025
  • Est-ce que tu ne sens pas un pouvoir en toi, quelquefois ? dit Vollmer. Une espèce de bonne santé excessive. Une bonne santé arrogante. C’est ça. Tu te sens tellement bien que tu commences à te trouver vaguement supérieur aux autres gens. Une sorte de force de vie. Un optimisme à ton propre sujet que tu développes presque aux dépens des autres. Tu n’as pas cette impression, quelquefois ? […] Mais là où je veux en venir, c’est que cette puissante impression est tellement – comment dire – délicate. C’est ça. Un jour tu la ressens, et le lendemain te voilà soudain pitoyable et accablé. Qu’une toute petite chose aille de travers, et tu te sens voué à l’échec, d’une absolue fragilité, vaincu, incapable d’énergie dans l’action et même de bon sens. Tous les autres ont de la chance sauf toi, tu es infortuné, triste, inefficace et voué à l’échec.

    — Don DeLillo, « Moments humains dans la Troisième Guerre mondiale », l’Ange Esmeralda (trad. Marianne Véron)

    20 août 2025
  • Arthur Miller: Writer (2017)

    17 août 2025
  • C’est l’histoire de gens qui habitaient autrefois sur la lune. Aujourd’hui il ne reste plus personne mais il n’y a pas longtemps c’était un superbe endroit. Les gens de la lune se croyaient très spéciaux parce qu’ils pouvaient avoir des pensées de la forme qu’ils désiraient. […]

    Parmi tous les gens de la lune, il en était un seul qui formait ses pensées différemment des autres. C’était un jeune homme un peu bizarre qui, la plupart du temps, était préoccupé par des problèmes existentiels et légèrement importuns […]

    Mais voyant que le jeune ne se calmait pas, ils pensèrent à un moyen de l’arrêter. Ils construisirent une pensée de solitude d’un format de 3 x 3 et mirent le jeune homme à l’intérieur, c’était une pensée de la taille d’un cachot avec un plafond très bas. Chaque fois qu’il heurtait involontairement une des parois, le jeune homme recevait une décharge glacée qui lui rappelait sa solitude.

    C’est dans cette cellule qu’il eut une dernière pensée de désespoir en forme de corde, en fit un nœud coulant et se pendit. Les gens de la lune aimèrent beaucoup cette idée d’une corde de désespoir avec un nœud coulant, aussitôt ils conçurent une pensée de désespoir personnel et l’enroulèrent autour de leur cou. C’est ainsi que furent anéantis tous les gens de la lune, ne laissant derrière eux que ce cachot de solitude. Mais après quelques centaines d’années de tempêtes spatiales, lui aussi s’effondra.

    Quand la première fusée se posa sur la lune, les astronautes ne trouvèrent personne. Ou plutôt ils y trouvèrent un million de fosses. Au début, ils crurent qu’il s’agissait d’anciennes tombes d’habitants de la lune. Mais en les examinant de plus près, ils découvrirent qu’il s’agissait simplement de pensées de rien.

    — Etgar Keret, « Pensée en forme d’histoire », Un homme sans tête et autres nouvelles (trad. Rosie Pinhas-Delpuech)

    4 août 2025
  • L’instituteur […] leva sur la piste ses yeux lourds, mauvais, haineux, sanguinolents, et il se mit à m’observer de ce regard d’outsider pendant que je dansais avec la jeune Hongroise ; il savait que j’étais jeune et célibataire, un intellectuel pragois, de ces hommes qui possèdent le vague amoncellement de notions fragmentaires qui suscitent l’illusion de la culture qu’il voulait susciter aussi, et le soir il parlait dédaigneusement de la société de péquenots que l’on rencontre en vacances, ouvrières d’usine bêtes à manger du foin, ajusteurs à peine capables de tracer leur signature, mais il ne lui venait pas à l’esprit qu’il ne savait guère faire autre chose que tracer sa signature d’une belle écriture sale, qui était une survivance de l’Autriche-Hongrie, qu’il ne connaissait guère autre chose que les quatre opérations fondamentales de l’arithmétique et la règle de trois et le petit précis de l’histoire de la Bohême rabâchée jadis sous la forme héroïco-patriotique des histoires bourgeoises et idéalistes des héros et du réveil national, et brouillée maintenant par un marxisme mal compris, et qu’il pouvait citer quelques plantes phanérogames et cryptogames, répartir la faune vulgaire de ce pays en mammifères, oiseaux et invertébrés, mais qu’il ignorait tout de la loi de l’irréversibilité de Dollo, de la surprenante genèse de l’écaille des tortues et des archéoptéryx semi-légendaires, et il ne vous croira pas si vous lui dites que le brontosaure possédait deux centres nerveux situés dans l’épine dorsale et, par conséquent, deux cerveaux, et vous croirait-il à demi, ce serait pour lui le prétexte d’une plaisanterie stupide, ce qui ne l’empêche pas d’enseigner à des gosses enchifrenés, assis sur des bancs d’école usés, que l’homme descend du singe d’après le savant anglais Darwin, et il prendra toute sa vie des airs supérieurs avec son entourage d’enfants de six à onze ans et de paysans fatigués qui vont le samedi boire un verre à l’auberge et de forgerons dont la main accoutumée au poids du marteau ne peut tracer la signature hebdomadaire des parents dans la case étroite du livret sans salir toute la page de graisse de machine et sans que cette signature maladroite déborde le cadre exigu du rectangle imprimé ; et il ne se demandait jamais, dans son cerveau atteint de mégalomanie primaire, s’il n’est pas aussi difficile, sinon plus, et aussi méritoire, sinon plus, et sans doute beaucoup plus beau de connaître dans tous ses secrets le mécanisme délicat de la fraiseuse et du tour, et de façonner des vis et des boulons à l’éclat d’argent et de suivre le flux laiteux des huiles et des liquides de coupe qui rafraîchissent le couteau de la fraiseuse et le foret de la perceuse, que de corriger à l’encre rouge le parler spontané des enfants pour le couler dans le moule des monstruosités uniformes du bon style tchèque et d’inculquer aux élèves l’indéracinable et subconsciente certitude qu’il ne faut pas de virgule devant et ; donc il savait que ma culture (qui n’était pourtant qu’inculture soigneusement mise en pli, cette imposture intellectuelle dont se rendent coupables quatre-vingt-dix-neuf pour cent des gens qui ont passé le baccalauréat, à l’exception de ce un pour cent où se recrutent les spécialistes en physique théorique, les astronomes, les paléontologistes, les paléographes, les chimistes et les spécialistes en pathologie expérimentale) était plus vaste et plus impressionnante que la sienne, et que mon veston venait de chez un bon tailleur pragois tandis que son corps trapu qu’Emöke dépassait d’une demi-tête flottait dans un de ces costumes du dimanche dont la coupe n’est soumise à aucune mode et n’est jamais moderne, agrémenté d’une cravate à l’éternel motif de losanges et de pois indéfinissables, c’est pourquoi il gardait ses yeux mauvais et impuissants de faible, de laissé-pour-compte, de handicapé, braqués sur la piste où je dansais avec Emöke.

    — Josef Škvorecký, la Légende d’Emöke (trad. François Kérel)

    2 août 2025
  • — Mais en dehors de la littérature où vis-tu donc ?
    — Derrière. Derrière la porte le plus souvent fermée. Dans une pièce vide et un peu froide. Ne désirant qu’une chose : que la porte s’ouvre et entrer dans le jardin.

    — Est-ce toi qui l’ouvres ?
    — Je ne sais pas. Oui, au bout du compte c’est moi, mais je dois d’abord m’acharner longtemps car la poignée ne tourne pas, ou si elle tourne, la porte reste bloquée. Parfois, quand je me suis longtemps escrimée en vain, je finis par me figurer que peut-être au fond il n’y a rien derrière cette porte. Que j’ai rêvé l’Éden ou pris pour l’Éden quelque chose qui n’était qu’un jardin où respirer un peu.

    — Depuis le temps, j’imagine que tu as conçu un certain nombre de ruses pour ouvrir cette porte ?
    — Non, il n’y en a pas de possibles car il ne s’agit jamais de la même. C’en est toujours une autre que celle devant laquelle tu te tenais. La porte de la littérature est dérobée.

    — Anne Serre, Dialogue d’été

    31 juillet 2025
  • Je m’incline souvent
    devant la figure unique
    d’un jeu de feuilles et de branches

    la maigre cicatrice de l’écorce
    le nœud dans le bois dur
    l’arbre n’échappe pas à sa souffrance
    il n’est rien d’autre que lui-même

    avec la longue respiration des saisons
    il regarde par les yeux du vent

    de ses racines
    et de l’anneau des années
    il ignore tout

    et je m’incline encore
    pour écouter son voyage immobile

    — Hélène Dorion, Mes forêts

    24 juillet 2025
  • Ce n’est rien de plus qu’un jeu, me disait-il sur un ton plus triste que modeste. Ceux qui élaborent les problèmes en connaissent la réponse. Résoudre un problème dont la solution existe obligatoirement, c’est un peu comme faire avec un guide une randonnée en montagne vers un sommet que l’on voit. La vérité ultime des mathématiques se dissimule discrètement à l’insu de tous au bout d’un chemin qui n’en est pas un. En plus, il n’est pas sûr que cet endroit soit un sommet. Ce peut être une gorge entre deux falaises abruptes ou un fond de vallée.

    — Yoko Ogawa, la Formule préférée du professeur (trad. Rose-Marie Makino-Fayolle)

    24 juillet 2025
  • Où que ce soit au monde, à sept heures du soir je suis en péril. Je sombre dans la mélancolie et l’angoisse si je suis seul, si rien ne me distrait de mon âme qui à ce moment est toujours gagnée par une inquiétude plus grande, si je ne suis pas au milieu d’autres gens ou assis dans un cinéma, il m’arrive d’être gagné par une angoisse mortelle, oui, gagné, je l’ai gagnée et je puis l’accepter comme un présent, que je le veuille ou non, cette angoisse qui n’a pas forcément à voir avec la mort ni le fait de mourir. J’entends le glas de mon village natal, toujours et partout, à sept heures du soir, à Berlin, à Rome, à Tokyo, en Inde, à Klagenfurt.

    — Josef Winkler, Requiem pour un père. Roppongi (trad. Bernard Banoun)

    17 juillet 2025
  • Doublure de son propre père et prisonnier d’une identité fictive, Donald Trump donne ainsi l’impression d’une personne absente et vide, à côté d’elle-même, dans la peau d’un autre mais sans être cet autre non plus, un personnage de théâtre mais sans acteur pour l’incarner, un être à l’existence évanescente et qui, peut-être pour arriver à exister, impose à tous son inquiétante présence.

    — Alain Roy, le Cas Trump. Portrait d’un imposteur

    10 juillet 2025
  • Même avant qu’on soit ensemble, j’avais souvent entendu Hugo dire qu’il avait hâte d’être vieux. Il envisageait l’âge d’or comme une période magique où chaque jour était dimanche, où plus personne n’attendait rien de vous.

    — Éveline Mailhot, Deux Jours de vertige

    +

    3 juillet 2025
  • Lui aussi était un voyageur dans la vanité du monde. Pour lui aussi la vie était une interminable montée, un chemin escarpé, un long carême. Quand en verrait-il le bout ? Peut-être était-il effrayé par les fantômes de son imagination, mais il augurait mal de son avenir ; le seul avantage était qu’il philosophait par avance sur tout ce qui pourrait lui arriver.

    — Alexandre Papadiamantis, « Nuit de carnaval », Rêverie du Quinze-Août (trad. René Bouchet)

    19 juin 2025
  • Grande forme, de Brigitte Baer : être bien dans sa peau
    16 juin 2025
  • En me souvenant de ce moment précis, je me vois presque au bord de la folie. Et il est clair qu’aujourd’hui, je ne pourrais plus éprouver ce genre de sentiment ; il existe une barrière transparente entre les émotions violentes et moi. Certes, je ressens ce qu’il est normal de ressentir, mais je ne peux plus me faire croire que ça compte véritablement. Je ne dirais pas que je suis mort, mais simplement, que le feu a commencé à s’éteindre et je sais que cela continuera encore pendant soixante ans au plus. Je ne suis pas malheureux, je n’ai pas peur de la mort, mais je ne suis plus vivant de la manière dont je l’étais […].

    — John Braine, Une chambre au soleil (trad. Sarah Londin)

    5 juin 2025
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